Le Kremlin se prépare à interdire Google en Russie. L’agence Roskomnadzor en charge de la censure, a annoncé le bannissement probable du moteur de recherche. La cause ? Le refus de Google d’appliquer les règles de censure édictées par le Kremlin. L’administration demande à Google de connecter ses serveurs au « Registre des sites web interdits » pour filtrer les informations dans les résultats de recherche. Ce registre contient les adresses et nom de domaines de plus de 130 300 ressources web prohibés en Russie. La plupart ont été bannis par Roskomnadzor lui-même, par le FSB qui joue la police politique de Poutine, ou par d’autres administrations, plus rarement par la justice. On y trouve pêle-mêle des sites d’opposition politique interdits sur ordre du FSB, des sites de presse en ligne interdits sur le soupçon de sympathie envers les opposants, des réseaux sociaux qui ont refusé de collaborer avec la police politique, mais aussi des sites de jeux en ligne, des sites de vente de cannabis, des sites de vidéos pirates etc. Le réseau professionnel Linkedin y figure aux côtés du français Dailymotion, de la messagerie Telegram et du bon nombre de ressources occidentales, toutes interdites en Russie « pour l’éternité », selon le verdict de la censure. Roskomnadzor alimente cette « liste noire » tous les jours, et les opérateurs russes remettent à jour quotidiennement la base des adresses interdites, par le biais d’une connexion permanente sur les serveurs de la censure. Ce que Google refuse de faire et il vient d‘écoper d’une amende de plus de 6 000 euros pour ce refus. Un montant insignifiant pour l’entreprise, sachant que la loi locale prévoit des amendes jusqu’à 9 000 euros comme peine maximale en cas de résistance.
L’administration russe ne compte pas abandonner son projet. Vadim Subbotine, vice-directeur de Roskomnadzor a prévenu :
« Si Google persiste dans son refus de collaborer alors nous allons très vite modifier la loi pour pouvoir interdire le moteur de recherche sur le territoire national ».
Les experts locaux notent qu’une modification de ce type, réalisée à la demande de la censure, peut passer tous les stades du débat parlementaire en huit jours pour être signée par Poutine dans la foulée. La censure russe s’active depuis quelques semaines, Facebook et Twitter sont aussi dans le collimateur. Roskomnadzor a confirmé que les deux réseaux feront l’objet d’un contrôle avant la fin de l’année, pour savoir s’ils ont déplacé leurs bases des utilisateurs russes sur des serveurs ouverts à la police politique, comme l’exige la loi locale. En cas d’infraction Facebook et Twitter risquent aussi l’interdiction.
Google a affiché un chiffre d’affaires de près de 600 millions d’euros en Russie en 2017, en forte croissance, grâce essentiellement au service de recherche sur les smartphones. L’opérateur revendique la deuxième place sur le marché, après le leader local Yandex qui affiche un résultat deux fois supérieur. En revanche l’entreprise est responsable de près de 43% des recherches sur internet en Russie fin 2017 selon LiveInternet. Google gagne aussi de l’argent sur les achats des applications pour smartphones sur son portail Google Play. La croissance affichée par l’opérateur énerve son concurrent local. En 2017 Yandex avait fait condamner Google à une forte amende pour ne pas avoir proposé l’accès au moteur de recherche Yandex sur les smartphones sous Androïd.
260 millions d’euros pour empêcher Telegram
Certains opérateurs ne se plient pas aux injonctions locales. C’est le cas de Telegram, ce service de messagerie chiffrée a été créé par Pavel Dourov, fondateur du réseau social russe VKontakte, pour offrir à tous ses compatriotes une protection contre la censure et la police politique russe. Menacé de prison par le FSB, Dourov a été obligé de s’enfuir du pays. Depuis il parvient à maintenir le fonctionnement de Telegram en Russie malgré l’interdiction mise en place en avril 2018, grâce à un savoir-faire exceptionnel de ses équipes informatiques. Roskomnadzor a déjà bloqué plus de 11 millions d’adresses IP dans le seul but de stopper Telegram, sans jamais y parvenir. Cette impossibilité pour la censure de faire main basse sur la messagerie chiffrée, lui a fait un coup de publicité en Russie : le nombre des utilisateurs quotidiens de Telegram est passé de 2,2 millions en 2017 à 3,4 millions en octobre 2018 selon Mediascope. Pressé par le Kremlin, Roskomnadzor a alloué un budget additionnel de 260 millions d’euros pour rechercher un moyen d’interdire Telegram en Russie en 2019, selon les informations de la BBC.
Jamais en retard d’une initiative répressive, le parlement russe vient d’initier l’adoption d’une loi interdisant toute « participation étrangère à plus de 20% dans le capital d’un service d’agrégation d’information ». Une loi similaire bannit déjà la participation étrangère dans les capitaux de la presse. Aujourd’hui quatre opérateurs sont enregistrés en qualité de « service d’agrégation d’information » : Yandex Novosti, Rambler Novosti et deux autres, tous locaux. La future loi semble viser en premier lieu le portal russophone de BBC News, la bête noire du Kremlin depuis sa couverture de l’attentat commis par les services secrets russes en Grande Bretagne. D’autres portails occidentaux comme Yahoo ou Gmail de Google pourraient être interdits en cas de besoin, en vertu du même texte.
En parallèle avec les mesures visant les opérateurs étrangers, l’administration russe travaille sur l’installation d’un « robinet d’arrêt » sur l’ensemble du réseau web pour pouvoir le couper du web mondial. Un projet de loi débattu par le parlement russe en décembre va instaurer l’obligation pour tous les opérateurs locaux de poser des dispositifs techniques de verrouillage sur leurs réseaux, et dont la clé d’activation sera détenue par Roskomnadzor. L’agence de censure détiendra la capacité de fermer le « robinet » en coupant instantanément tous les accès de l’internet russe vers l’extérieur du pays. Le Kremlin ne précise pas encore à quel moment il compte activer ce verrou ni pour quelle durée.